Sur toute la longueur du tube digestif : de l’intestin grêle au canal de l’anus
Les entérocytes sont les cellules les plus connues de l’intestin grêle. Elles sont chargées de l’absorption des aliments devenus nutriments par la digestion au niveau de la bouche, notre palais des saveurs, puis de l’estomac. L’absorption, c’est le passage des nutriments de la lumière intestinale dans le sang en passant à travers les entérocytes qui sélectionnent, laissent passer ou rejettent.
Ces cellules intestinales ont besoin d’énergie pour jouer leur rôle essentiel à la vie. C’est l’acide aminé dénommé “Glutamine ” qui est la meilleure source d’énergie ou énergie princeps pour les entérocytes. On le trouve dans les œufs comme dans la viande, le poisson, les produits laitiers, les céréales et les légumineuses. Les épinards et le persil crus, ainsi que le miso en Asie, en contiennent également. On estime qu’une alimentation normale fournit de 5 à10 g de glutamine par jour. Quand l’intestin souffre de porosité intestinale (leaky gut des Anglo-saxons) c’est de la glutamine qu’il faut apporter comme complément.
Le complément le plus efficace que nous prescrivons est Perméa Régul de Copmed (1/2 sachet pendant 10 jours, dilué dans 200 ml d’eau tiède, puis 1 sachet entier les 20 jours suivants). Évidemment, il ne faut pas le prescrire dans les cas de cancers du tube digestif, intestin grêle comme côlon, car alors on risque de nourrir un peu plus les cellules cancéreuses.
L’intestin grêle est l’organe-clé de l’immunité, de notre défense immunitaire globale, ce qui est logique puisqu’il doit sélectionner en quelque sorte les bons des mauvais nutriments.
À la coupe, il est constitué d’au moins 4 couches. De l’intérieur vers l’extérieur, on distingue :
- la muqueuse qui comporte de nombreuses villosités et microvillosités destinées à augmenter la surface d’échanges,
- la sous-muqueuse nommée aussi lamina propria où se logent des cellules immunitaires,
- la musculaire dont les muscles lisses permettent le péristaltisme, c’est-à-dire la contraction intestinale pour faire avancer les nutriments mélangés aux liquides digestifs,
- la séreuse humide destinée à permettre le glissement doux des anses intestinales les unes sur les autres dans le ventre.
On distingue, au niveau de l’intestin grêle, “immunité innée” et “immunité acquise”
L’immunité intestinale innée est instantanée, elle est la première ligne de défense qui limite l’infection dès les premières heures après l’exposition aux micro-organismes. La muqueuse du grêle est truffée de Toll-like Receptors (une dizaine de protéines désignées TLR de 1 à 10) aux aguets prêts à fixer les antigènes bactériens, fongiques (champignons tels que candida albicans) ou viraux de passage dans la lumière intestinale.
En l’absence d’une réponse innée normale, le système immun adaptatif est moins efficace. On vérifie la mauvaise immunité des patients qui manquent de globules blancs neutrophiles après une chimiothérapie, laquelle tue toutes les cellules en cours de multiplication, dont les globules blancs qui ne vivent normalement que 7 jours, mais aussi nombre de cellules intestinales qui ne vivent que 3 à 5 jours. Il ne faut pas s’étonner d’avoir alors des diarrhées plus ou moins importantes puisque l’absorption des nutriments est minimale.
Les cellules MAIT (Mucosal Associated Invariant T Cells) régulent l’activité des lymphocytes B intestinaux. Le Glycocalyx est une couche d’oligosaccharides (sucres complexes) accrochée aux sommets des villosités. Cette couche permet aux micronutriments de passer à travers un réseau filamenteux accédant aux enzymes digestifs. Il est relativement imperméable aux macromolécules et aux micro-organismes les empêchant ainsi d’agresser les entérocytes. Belle protection !
L’immunité intestinale acquise dépend des agressions alimentaires et bactériennes. Elle est organisée tout au long du tube digestif.
Il s’agit du GALT (Gut Associated Lymphoïd Tissue) sur une surface équivalente à un terrain de tennis. Le GALT contient plus de lymphocytes que tous les organes lymphoïdes de l’organisme. Voilà la preuve de l’importance de bien traiter notre intestin, en lui donnant les bons aliments.
Donc pas de bonne immunité sans des intestins en bon état. Dans le GALT, les lymphocytes peuvent être isolés ou amassés dans de grands follicules dénommés « plaques de Peyer ». Les lymphocytes isolés abondent dans la lamina propria, bande de tissu coincée entre les couches des cellules de l’intestin, celles de la muqueuse et de la sous-muqueuse. Ils jouent un rôle capital dans les réactions immunitaires de l’intestin.
- Les cellules M (pour Micro folds soit Microdigitations) sont au niveau des microvillosités accolées les unes aux autres en forme de digitations courtes en doigt de gant. Ces cellules échantillonnent les antigènes et les micro-organismes de la lumière intestinale [1]. En 1998, on a identifié des villosités remplies de lymphocytes (lymphocyte-filled villi).
- Les IgA sécrétoires ne constituent que 15 à 20 % des immunoglobulines du sang, tandis que les IgG représentent jusqu’à 75 % des immunoglobulines totales. Au niveau intestinal, l’IgA sécrétoire protège la muqueuse contre la digestion des protéines dites protéolytiques, car coupées très finement par les enzymes digestives ou par les enzymes bactériennes.
- Les cellules dendritiques [2] sont tapies dans les poches intra-épithéliales des cellules M et dans la lamina propria. Ce sont de puissantes cellules spécialisées présentatrices d’antigènes d’un virus ou cancer. Elles séparent les entérocytes des cellules M et envoient des prolongements en forme de dendrites, comme des périscopes, pour échantillonner directement les antigènes dans la lumière intestinale.
- Une nouvelle cellule dendritique, la cellule Ikdc (Interferon Producing Killer Dendritic Cell) a été découverte par l’équipe du Pr Laurence Zitvogel de Paris XI. Elle est capable de sécréter de l’interféron gamma qui peut tuer les cellules cancéreuses par apoptose, les forçant à mourir.
L’interféron gamma est donc un anti-angiogénique puissant car il peut neutraliser la formation de nouveaux vaisseaux. Il active en plus d’autres cellules immunitaires et intervient dans la reconnaissance des cellules cancéreuses par les lymphocytes B.
Ces cellules sont donc les “chefs d’orchestre du système immunitaire”, les plus puissantes cellules présentatrices d’antigènes capables de reconnaître les substances dangereuses pour l’organisme (germes – bactéries ou virus –, métaux lourds, substances toxiques – pesticides de toutes sortes –) et de les rejeter, avec le risque de les laisser passer dans le sang quand elles sont dépassées, blessées par telle ou telle maladie (maladie cœliaque et maladie de Crohn pour l’intestin grêle, rectocolite pour le côlon et le rectum).
Des études publiées en 2010 ont mis en évidence une protéine fabriquée au niveau des cellules intestinales permettant de lutter contre divers micro-organismes, la Béta-défensine (DEFB1) qui est basse chez les malades atteints par la maladie de Crohn. Une molécule agoniste serait capable d’augmenter la production de cette défensine. Voilà une belle perspective thérapeutique.
Au niveau du côlon, les cellules dites colocytes ou colonocytes ont besoin d’acides gras à chaîne courte, en particulier l’acide butyrique qui joue le rôle d’énergie princeps pour ces cellules [3]. La formation par les bactéries intestinales du butyrate, à partir des substrats glucidiques et/ou protéiques des fibres des aliments contribue au rôle protecteur de la flore vis-à-vis de la cancérogenèse des cellules du côlon et du rectum.
La lymphe et les nœuds ou ganglions lymphatiques : une super protection !
Il s’agit de tout un système de très fins canaux lymphatiques entrecroisés. Il suit les vaisseaux (artères et veines) partout dans l’organisme, transportant le liquide lymphatique dénommé “lymphe” (chaque jour, 2 à 4 litres d’un liquide transparent circulent en permanence en plus des 5 à 6 litres de sang qui partent – sang rouge – et reviennent – sang bleu – au cœur). La lymphe est soumise à la fine contraction régulière des cellules musculaires lisses des vaisseaux lymphatiques, de 10 à 15 fois par minute, associée aux mouvements des membres et des contractions intestinales. C’est ainsi qu’elle rejoint la circulation de sang bleu pour se mélanger à lui.
La lymphe contient les cellules clés du système immunitaire de défense de l’organisme, les lymphocytes, et également des molécules protéiques et lipidiques provenant de notre alimentation, essentielles à notre immunité.
Au niveau des carrefours des membres (articulations en particulier), les lymphatiques convergent vers les “nœuds” ou “ganglions lymphatiques” qui jouent le rôle de gardiens locaux et régionaux de l’immunité.
Pour les membres supérieurs, les ganglions sont ceux de l’aisselle ; pour les membres inférieurs ceux de l’aine ; pour la région tête et cou, les ganglions du cou, depuis les creux des clavicules jusqu’aux mandibules.
Dans le ventre comme dans le thorax existent autant de nœuds-ganglions lymphatiques qui sont aux carrefours des grands axes vasculaires et suivent les 2 grands vaisseaux qui partent du cœur, l’aorte et l’artère pulmonaire, et les veines caves supérieure et inférieure qui y reviennent.
Le réseau des ganglions lymphatiques, tous reliés entre eux, suit les vaisseaux en les entourant et se jette dans un fin canal, dénommé canal thoracique. Ce canal, venu du fond du ventre, remonte dans le thorax toute la lymphe des membres inférieurs, de l’abdomen et du thorax, pour se jeter définitivement dans le système veineux derrière la clavicule gauche (dans la veine dite sous-clavière) [4].
Par contre, le drainage de la lymphe provenant de la partie droite de la tête et du cou se termine à droite dans la grande veine lymphatique, derrière la veine sous-clavière droite, située derrière et sous la clavicule.
Notre immunité est donc directement liée à l’énergie que nous apportons au corps. Cette énergie n’est autre que la nutrition.
Évidemment, les changements d’habitudes doivent être associés aux différents traitements qui neutralisent une tumeur cancéreuse. C’est en mai 2005 seulement que les cancérologues en ont vraiment pris conscience suite à une communication de notre collègue le Pr Rowan Chlebowski de l’Institut de recherche biomédicale de Los Angeles. Son étude a été réalisée chez des 2437 femmes atteintes de cancer du sein et démontre le rôle que peut jouer une “saine nutrition” par rapport à ce qu’il faut bien appeler une “nutrition désastreuse”.
Il est essentiel de souligner que les changements d’habitudes alimentaires ne dispensent pas des traitements classiques opposés à la tumeur cancéreuse.
L’immunorégulation des réponses antitumorales et le développement des vaccins anticancers
Les lymphocytes T CD4 jouent un rôle important dans l’induction et la régulation des réponses immunitaires antitumorales. Il existe plusieurs sous-populations de ces lymphocytes dont les fonctions peuvent être très différentes, voire opposées. Les lymphocytes du sous-type auxiliaire (les TH) stimulent d’autres cellules comme les CD8 et les lymphocytes B producteurs d’anticorps. Les stratégies vaccinales améliorent le sous-type TH, tandis que la vaccination induit la formation de CD4. On a ainsi des outils d’immuno-surveillance.
On peut reprogrammer des cellules cancéreuses en cellules normales in vitro.
Tout récemment, les chercheurs sont parvenus à reprogrammer des cellules tumorales en cellules saines. De quelle façon ? Grâce à des modifications épigénétiques, c’est-à-dire des modifications de l’environnement des cellules cancéreuses. L’espoir devient immense, car la programmation épigénétique bien ciblée devient capable de court-circuiter les anomalies génétiques responsables du cancer. D’ores et déjà, ils ont pu reprogrammer avec succès in vitro des cellules de leucémie myéloïde chronique, de mélanome, de cancer de la prostate, de neuroblastome, de cancer du sein et du côlon. Les auteurs Lotem et Sachs [5] pensent même que la programmation épigénétique est plus puissante que la programmation génétique pour que les cellules retrouvent le chemin de la santé.
Voilà de bonnes nouvelles que je vous devais. Elles m’imposaient de vous expliquer le fabuleux système immunitaire qui nous protège, en particulier le rôle éminent du système digestif, capable de sélectionner les bons des mauvais nutriments.
Vous avez retenu qu’il est très compliqué. Dites vous surtout qu’il est à votre service et qu’il est partout dans votre corps, lequel ne demande qu’à être respecté.
Vos voisins le savent-ils ? Faites circuler cette lettre. Ensemble nous contribuons à la santé du plus grand nombre.
Bien à vous tous, à la semaine prochaine.
Pr Henri Joyeux
Source
[1] On considère que les cellules M jouent un rôle déterminant dans la contamination du virus HIV du Sida par voie rectale lors des rapports non protégés.
[2] Découverte des docteurs Ralph Steinman du Canada, Bruce Beutler, américain, et le Français Jules Hoffman, prix Nobel de Médecine 2011.
[3] L’énergie princeps des cellules nerveuses est le glucose, provenant au mieux du fructose des fruits. L’énergie princeps des cellules de l’intestin grêle est la glutamine (facteur spécifique de survie pour les entérocytes) présente dans les protéines végétales et animales. L’énergie princeps des cellules du côlon est l’acide butyrique ou butyrate, fabriqué par la flore intestinale produite par la digestion des fibres des aliments (fruits et légumes). Le butyrate a un effet trophique sur la muqueuse colique et heureusement inhibe la prolifération des cellules tumorales du côlon.
[4] C’est à la fin du canal thoracique, dans le creux au-dessus de la clavicule gauche, que l’on peut récupérer le maximum de lymphe, concentrée en lymphocytes et molécules lipoprotéiques de l’immunité. Bien avant les greffes, on récupérait les lymphocytes en posant un fin cathéter dans le canal thoracique. Pour le repérer, on faisait consommer au patient du beurre ou du lait complet la veille de l’opération, afin de retrouver ce canal par une fine dissection dans le creux au-dessus de la clavicule gauche. Il apparaissait alors de couleur blanchâtre, ce qui permettait de l’identifier.
[5] Epigenetics wins over genetics : induction of differentiation in tumor cells – Joseph Lotem and Leo Sachs Cancer Biology, Vol. 12, 2002: pp. 339–346
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