Lettre N°50 du Pr Henri Joyeux – Le 18 février 2015
À toutes les familles qui attendent un bébé et à celles qui prévoient d’en avoir un l’année prochaine : l’haptonomie.
Peut-être est-ce parce que nous attendons nos 12e et 13e petits-enfants que j’ai pensé utile de vous faire connaître l’haptonomie. Elle s’inscrit fort bien dans une perspective de santé humaine qui se veut la plus complète possible.
Pour en parler, rien ne vaut d’aller à la source du fondateur de cette science et de parcourir son gros livre, très complet mais touffu et répétitif, de près de 600 pages (publié aux Puf, 9e édition 2007). Je viens de le relire pour vous le résumer : « Haptonomie – Science de l’Affectivité – Redécouvrir l’Humain ». Il s’appuie sur une éthique humaine fondatrice.
L’haptonomie, c’est la science du toucher et de l’affectif
Elle a été créée suite aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale et développée pendant un demi-siècle par Frans Veldman, un chercheur en sciences de la vie d’origine hollandaise.
Dès 1980, il est venu vivre dans notre belle région Languedoc–Roussillon, dans le petit village d’Oms. Il y fit un énorme travail autour de la naissance, malheureusement encore trop méconnu.
L’haptonomie a pour objectif la structuration « du sentiment de la sécurité de base », si primordial pour le bon déroulement de la grossesse et de la naissance. Elle aide au développement psychomoteur du petit enfant, mais aussi pour l’approche du handicap quand c’est nécessaire.
Notre vie commence par l’apparition d’une libido vitale, présente dans les qualités archaïques du tact primitif
Aujourd’hui encore, un nourrisson ne peut être conçu sans mère et père, au moins biologiques. Pour lui, la solitude n’existe pas. L’haptonomie est la science non pas du paraître mais de l’apparaître. Elle concerne la future mère, évidemment l’enfant, et le futur père. Elle propose à chacun, être social, de développer son être et sa mémoire affective. Notre mémoire s’origine dès la vie intra-utérine dans le toucher, d’une extrême importance pour tout un chacun (voir ma lettre de Noël, temps de la douceur, « Votre peau vous parle »).
Ainsi Veldman affirme que, dès le premier jour de la vie intra-utérine (nous ne sommes alors pas plus grands qu’un grain de sable), existe un droit à l’existence et à la confirmation affective de son être. Toute privation de ce droit est un mal en soi.
L’haptonomie devient alors un art de vivre humain, la science des fondations des relations humaines, et peut être utile de la conception à la fin de vie.
L’accompagnement haptonomique
Les perceptions de l’enfant dans le giron de la mère : « maman avant la naissance »
Veldman est très clair :
« La disposition psychique de la mère à l’égard de l’enfant est importante, des facteurs tels que réceptivité, inclination, sentiment de joie, d’amour ou au contraire refus, négation, peur, haine… exercent une influence parfois déterminante sur les possibilités d’épanouissement et d’existence de l’enfant. Il ne faudrait pas sous-estimer en ce domaine le rôle du père qui influence grandement cette disposition maternelle. »
La recherche haptonomique a mis en évidence l’existence d’échanges intra-utérins importants entre la mère et son enfant très tôt pendant la grossesse. Se développent également de tels échanges entre les deux parents et l’enfant par des contacts affectifs, psychotactiles très doux et verbaux, internes et externes, pratiqués dans cet ordre.
C’est là que s’enracinent des vies complètes, incomplètes ou mutilées. L’épanouissement d’une vie libre, épanouie, est donc dans une large mesure préconditionnée et prédéterminée par le vécu avant la naissance.
Cela ne veut pas dire que les erreurs d’origine ne sont pas rattrapables. La résilience reste toujours possible, mais elle sera d’autant plus facile à construire que les circonstances ultérieures de la vie familiale et extra-familiale y contribueront.
Un accueil glacial privé d’amour – premier abandon, première solitude – peut être vécu et engrammé dans les toutes premières cellules encore totipotentes, celles qui font mémoire.
L’haptonomie exerce donc ses influences affermissantes d’existence chez l’enfant qui n’est pas encore né. C’est ce qu’elle révèle par l’approche et l’accompagnement pré, péri et postnatal des parents et de leur enfant. C’est un langage de rencontre, un langage affectif, qui se met en place et évolue jour après jour… le prolongement miraculeux de notre corps que découvrait le philosophe Merleau-Ponty.
La place du père est primordiale pour le fondateur de l’haptonomie : « papa avant la naissance »
« Le père doit être conscient de sa responsabilité car il lui revient au premier chef de garantir la viabilité de l’enfant dans le vrai sens du mot, dans le meilleur des cas en permettant les circonstances (en premier lieu affectives) dans lesquelles la mère pourra se consacrer entièrement à sa tâche, quand elle le veut et le peut. »
Veldman ajoute fortement :
« Si l’on veut évoquer une place de serviteur, elle est plutôt du côté de l’homme ; plus encore quand il devient père, en respectant et en honorant le fait que la femme porte en elle le secret de la vie, et en lui offrant toutes les possibilités de vivre son état de mère. Dans la relation père-mère, il n’existe donc ni hiérarchie ni pouvoir. »
Le père remplaçant reste un père de substitution, qui ne peut jamais remplir totalement la place d’un père biologique présent et affectueux. Les enfants adoptés connaissent ce problème de la recherche de l’origine, (nostalgie de l’origine) qui se manifeste tôt ou tard, à partir du moment où l’enfant est mis au courant de son adoption.
À propos de l’adoption : ne plus parler d’« abandon » mais de « don »
Sur ce sujet, la société s’est gravement fourvoyée au détriment de la mère et de l’enfant en parlant trop souvent d’abandon. Nous n’aborderons pas la GPA avec tout ce qu’elle comporte de business et d’antihumain. Elle est contraire à l’éthique la plus élémentaire.
L’adoption engage simplement une mère, ou un couple père-mère qui ne peut, au moment de la naissance et plus tard, assurer la vie et l’éducation de l’enfant, ni lui donner tout l’amour dont il a besoin pour se construire.
Il faut donc changer de paradigme, quitter culpabilisation et discrimination, comme autrefois les filles-mères, pour considérer l’adoption comme une forme de don, et même le plus beau cadeau qu’une mère ou un couple puisse faire à une autre famille. C’est aussi le plus beau cadeau à faire à son enfant qui a tant besoin de tendresse et d’amour.
Le récent déclin très net des adoptions internationales interroge quant à ses causes, face au maintien du nombre inchangé des interruptions de grossesse en France, 220 000 chaque année. Ainsi les spécialistes affirment [1] s’attendre à une augmentation des demandes de procréation médicalement assistée (PMA) ainsi que de gestation pour autrui (GPA) pour infertilité sociale. L’incohérence des adultes est-elle source d’équilibre et de bonheur pour l’enfant [2] dont l’intérêt est supérieur en comparaison du leur ?
Pendant la grossesse, l’haptonomie apaise la maman, éveille sa conscience car le corps présent en elle n’est pas « objet » mais « sujet ». Le bébé perçoit sensations subliminales, empreintes et engrammes, qu’il enregistre en mémoire respectivement à court, moyen et long terme.
Quand il voit une femme enceinte, mon collègue Bernard This commence sa consultation en disant « Bonjour au bébé ». Il a fondé en 1979 la première maison verte sur les conseils de Françoise Dolto. Il fut un des premiers défenseurs de l’accouchement sans douleur et fervent militant de la paternité malheureusement fort perturbée, responsable de tant de violences chez les jeunes, en ce temps dit post-moderne [3].
À la suite de Veldman, il a démontré que l’enfant in utero entend et reconnaît aussi la voix pleine de tendresse de son papa, génétique ou adoptif : celui qui vit auprès de sa mère. Il a obtenu pour l’enfant l’entrée des pères en salle d’accouchement.
Il a bien développé et fait connaître « ce toucher très spécial, ce contact apaisant qui, très tôt, permet d’entrer en relation avec le bébé in utero, afin de lui procurer une “sécurité de base”». Dans son groupe de recherche et d’étude du nouveau-né se côtoient des spécialistes de la naissance, y compris des vétérinaires qui ont parfois le sens de la vie plus développé que certains.
De plus en plus de sages-femmes ont appris et appliquent l’haptonomie qu’elles enseignent aux futurs parents ensemble pour le plus grand bonheur de la famille. Les séances de trois-quarts d’heure à une heure doivent être échelonnées dès le 5e mois, selon les besoins.
La maman et le papa apprennent à prendre contact avec bébé. Ils commencent par poser délicatement leurs mains sur le ventre maternel, pour faire signe au bébé. Leurs mains affectueuses sont placées à plat, couvrant progressivement toute la superficie du ventre maternel, cherchant à détecter de quel coté le bébé s’est installé. Elles appellent le bébé à changer de place, et celui-ci suit déjà les douces demandes tactiles de ses parents.
Les méthodes enseignées visent également à replacer régulièrement bébé dans le bon axe, aident, entre autres, à réduire les contractions douloureuses et le mal au dos. Les parents apprennent par exemple à bercer le bébé in utero dans son berceau piscine. Les sons, les voix, les vibrations sont captées par la peau du bébé plus que par ses oreilles.
Les dernières séances sont très importantes pour l’accouchement à venir. On enseigne au papa à appeler le bébé à se mettre la tête la première (la moitié du poids du corps) dans l’axe, au travers de la filière de la vie de la maman, pour venir au jour. En même temps, la sage-femme apprend aux mères qui en font le choix à préparer les mamelons pour l’allaitement, afin d’éviter les crevasses si douloureuses, les engorgements et inflammations. Des massages délicats de la musculature fine du mamelon avec de l’huile d’amande douce ou plus simplement de l’huile d’olive vierge, première pression à froid, éviteront des complications et un sevrage trop précoce.
La naissance est le premier détachement d’avec la mère
La section du cordon qui bat (le pouls du cordon) est l’acte libérateur qui revient de préférence au père. C’est l’ouverture au monde de l’enfant doucement soulevé par le père, premier acte haptonomique de confirmation de son être autonome.
Le père présente et montre l’enfant à la mère de façon à ce qu’elle le voie tout entier, pour la première fois libre. C’est le contact direct peau à peau qui s’établit entre l’enfant et ses deux parents. Le lien mère-enfant ne doit pas rester trop fort. Il doit être partagé. L’enfant, garçon comme fille, a déjà besoin du thorax de son père, symbole de la protection, de la force, de la virilité si nécessaires à la construction de ses orientations affectives futures.
À propos de l’allaitement maternel
Pour Veldman, l’allaitement au sein de la mère joue un rôle capital en ce qu’il établit un jeu d’amour dans le plaisir partagé. Il favorise l’involution utérine, et le maintien de la lactation accentue la sécurité de l’enfant.
Il faut prévenir les femmes que des médicaments contenant de la bromocriptine (Parlodel® et Bromocriptine Zentiva®) bloquent la lactation pour de mauvais prétextes. Ils ont des effets indésirables et parfois graves [4] pour la mère, enfin reconnus par les gynécologues-obstétriciens et pédiatres.
En France, l’allaitement maternel n’est pas assez valorisé. Quand les mères en font le choix, l’allaitement maternel est perturbé par la reprise de travail trop précoce. Des aménagements spécifiques doivent être mis en place.
Dans les pays scandinaves et en Allemagne, 98 % des mamans allaitent leur bébé au moins 6 mois selon les recommandations de l’OMS. Le contact peau à peau est extrêmement important, avec odeur, chaleur, et les autres qualités sensibles et affectives, vécues réciproquement entre la maman et le bébé.
L’haptonomie en pratique
C’est donc le suivi personnalisé qui est proposé avec une sage-femme spécialisée. En France, huit séances sont remboursées. Cela commence par un entretien individuel dès le 4ème mois, quand le bébé va commencer à être perçu par la maman. Elle apprend alors à communiquer avec lui par le toucher. L’enfant se sent désiré, attendu, aimé avant de naître. Une véritable complicité se met en place entre l’enfant et ses parents.
La future maman ne doit pas se sentir seule. Le futur père perçoit son bébé et doit répondre à ses invitations à venir de tel ou tel côté du ventre de la maman. Il apprend même à bercer le bébé afin qu’il prenne toute sa place dans le giron maternel. Ce bercement permet une grande détente pour tout le muscle utérin qui contient le bébé dans le liquide amniotique.
Les séances suivantes peuvent se faire par petits groupes de 3 personnes qui permettent les échanges entre les mères qui ont déjà eu un enfant et celles qui l’attendent pour la première fois. Rien n’est laissé au hasard : la respiration, la préparation des muscles du périnée si essentiels pour l’accouchement, les positions à adopter pendant les contractions qui atténuent les douleurs lombaires, facilitent la dilatation du col utérin ; les poussées pour faciliter la descente du bébé, et, l’allaitement.
La formation du père est essentielle ; il est bienvenu à toutes les séances, avec au moins quatre séances spécifiques. Après la naissance, l’accompagnement de l’allaitement est très important, tout autant que la rééducation des muscles du périnée fortement étirés lors de l’accouchement. Il faut aider à retrouver une sexualité satisfaisante et plus tard éviter l’incontinence urinaire tardive plus ou moins importante et le petit « prolapsus » (descente d’organes, vessie et col utérin).
Concluons avec Frans Veldman : « Nous devrions tous être les protecteurs et les gardiens vigilants des biens et droits fondamentaux de l’humanité, tels qu’ils sont explicités par l’haptonomie dès la conception. »
Chaque enfant se développe selon ses propres dispositions et ne doit pas être enchaîné à un schéma rationnel. Veldman vous tranquillise : « Einstein n’a parlé que très tard et Churchill a appris à lire et écrire tardivement, à grand peine. »
N’hésitez pas à faire suivre cette lettre, à demander à votre obstétricien de vous guider vers une sage-femme qui pratique l’haptonomie. Elles sont formidables.
Toutes les futures mamans doivent le savoir, et plus encore les pères, afin qu’ils comprennent mieux leurs immenses responsabilités vis à vis de leur enfant à naître et de celle avec laquelle ils ont choisi de vivre amoureusement.
Tous mes vœux pour un beau bébé !
Pr Henri Joyeux
Sources
[1] Population & Sociétés N°519, février 2015 « L’adoption internationale dans le monde : les raisons du déclin ».[2] Les enfants d’abord, Ed Rocher 2013[3] Le père : acte de naissance, 1991, Seuil et La société sans père – Alexandre de Willebois 2013, Editions de Clairval[4] Accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde et hypertension artérielle, neurologiques (principalement convulsions) et psychiatriques (hallucinations, confusion mentale), chez des femmes prenant ces médicaments pour prévenir ou interrompre la montée de laiteuse après un accouchement ou une « interruption de grossesse ».
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